Masculin/féminin : cette distinction génétique fondamentale aurait-elle du plomb dans l’aile dans l’univers horloger ? En tout état de cause, la qChalametest des plus pertinentes si l’on en juge des récents développements de la profession. On ne saurait certes gommer d’un trait de plume un siècle de tradition dans la montre-bijou, mais là également la frontière devient de plus en plus ténue. N’a-t-on par vu Abel Makkonen Tesfaye, alias The Weeknd, artiste parmi les plus écoutés sur Spotify, arborer une somptueuse Limelight Gala Haute Joaillerie de Piaget sur le tapis rouge de Cannes en 2023, une pièce éminemment féminine symbolisant la « sophistication Piaget ». Lors de ses apparitions publiques, le rappeur-chanteur portoricain Bad Bunny, de son nom de baptême Benito Antonio Martínez Ocasio, qui fait également un malheur sur Spotify, porte volontiers des montres qualifiées de féminines, à l’instar d’une Patek Philippe Golden Ellipse, une Ballon Bleu de Cartier ou encore une Audemars Piguet vintage, toutes serties. Quant aux acteurs Timothée Chalamet et Jeremy Strong, ils sont apparus avec la mini Panthère de Cartier pour le premier et une RM 07-04 pour le second, une montre que Richard Mille caractérise comme sa première montre sport pour femme.
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Et si on abolissait les genres ?
de Christophe Roulet
Les horlogers sont revenus à des canons esthétiques classiques tout en déclinant leurs modèles emblématiques en une profusion de tailles, couleurs, cadrans et bracelets. Il en résulte une frontière de plus en plus ténue entre masculin et féminin.
La taille compte !
Dans ce contexte, est-il encore pertinent de distinguer des modèles selon qu’ils affirment une virile apparence ou une délicate féminité, comme la plupart des horlogers le font encore, notamment sur leurs sites internet ? Au même titre que la mode, qui, depuis quelques années déjà, s’ingénie à brouiller les pistes, les Maisons horlogères sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à prôner la mixité de leurs modèles dont le genre ne serait finalement que celui de la personne qui les porte. Aussi voit-on des pièces largement cataloguées comme des garde-temps masculins adopter des livrées scintillantes et des cadrans de nacre, comme la nouvelle Cosmograph Daytona présentée par Rolex au salon Watches and Wonders Geneva 2024. La Maison se garde d’ailleurs bien de préciser si cette montre de 40 mm de diamètre avec lunette sertie de diamants s’adresse à monsieur ou à madame. Rolex se contente de préciser que, « par son nom et ses fonctionnalités, le Cosmograph Daytona est lié à jamais au monde des sports automobiles » et que, plus de six décennies après son lancement, « il conserve son statut à nul autre pareil parmi les chronographes de sport ». Avis aux amatrices !
Avec un tel mélange des genres, la question des dimensions des produits horlogers et donc de leur taille au poignet est devenue primordiale. Le retour de la profession aux canons esthétiques classiques a ainsi largement contribué à faire des nouveaux modèles des pièces parfaitement adaptées aux poignets masculins comme féminins. L’ère des montres horloges, ces pizzas monumentales et débordantes lestées de testostérone, fait désormais partie du passé. Les horlogers se sont donc souvenus que la montre masculine du milieu du siècle dernier affichait un diamètre compris en 33 et 38 mm. Raison pour laquelle les créations contemporaines ont perdu en taille ce qu’elles ont gagné en élégance, forcément désirables pour tous publics. Lorsque Giorgio Armani a présenté son premier garde-temps « 11 », fruit d’une collaboration avec Parmigiani Fleurier, le couturier a dévoilé une montre coussin pour elle et pour lui de 39,5 mm avec phases de lune. IWC a pareillement redonné une seconde jeunesse à son Ingenieur dans un diamètre unisexe de 40 mm. Quant à la Tank de Cartier, apparue en 1917, elle n’a jamais exercé un attrait exclusif sur un genre plutôt qu’un autre. « Ce n’est pas notre métier de choisir qui portera quelle montre Cartier, expliquait Cyrille Vigneron, CEO de la Maison. Notre métier est de faire en sorte que ces personnes aient le libre choix et qu’il soit aussi large que possible. »
Diversité tous azimuts
Les Maisons horlogères semblent clairement avoir entendu ce précepte. Elles qui, généralement, attendaient qu’un modèle fasse ses preuves pour le décliner en de multiples références se sont passé le mot pour offrir moult déclinaisons de leurs nouveautés. Question de toucher les aficionados sans distinction de genre, de culture ou de connaissance horlogère. Ces dernières années, on a déjà vu les bracelets interchangeables se répandre comme une traînée de poudre au sein des collections de montres. Il s’agissait d’abord et avant tout d’offrir une plus grande versatilité entre des attaches métalliques intégrées et des bracelets en tissu, en caoutchouc ou en cuir de toutes sortes, y compris à base de matériaux recyclés. Une méthode simple, somme toute, permettant déjà d’adapter la montre aux envies les plus diverses et qui ne demandait qu’à s’étendre aux autres parties constitutives des pièces horlogères, mouvements compris. Comme on a pu s’en rendre compte lors de la dernière grand-messe horlogère de Genève, les ténors de la branche ont intégré ce principe au-delà de toute attente. Que ce soit en termes de couleurs de cadran et bracelet, de matériaux de boîtier, de complications, voire de motorisations et surtout de tailles, ils ont largement multiplié les références sur une même pièce, gommant au passage toute différence générique au profit d’une universalité du modèle.
Pour ce qui est des couleurs, on se reportera à la collection Tangente 38 mm de Nomos, déclinée en 31 coloris différents. Arnold & Son avec sa nouvelle Longitude, Baume & Mercier avec sa Riviera, Czapeck & Cie avec sa Promenade, Hermès avec l’inédite Cut, Hublot avec sa Big Bang Integrated Time Only 38 mm, Montblanc avec son Iced Sea, Oris avec son Aquislles au chronographe et aux phases de lune. Cette diversité trouve écho chez Bremont, marque britannique fondée par les frères English en 2002 qui donnait une nouvelle orientation à ses produits avec ses TerraNova, une collection de montres de terrain déclinée d’emblée en trois tailles, accompagnées de divers coloris et de fonctions additionnelles comme un quantième, un chrono ou une réserve de marche, sans oublier un Tourbillon Dual Time qui couronne la ligne. Arnold & Son avec sa nouvelle Longitude, Baume & Mercier avec sa Riviera, Czapeck & Cie avec sa Promenade, Hermès avec l’inédite Cut, Hublot avec sa Big Bang Integrated Time Only 38 mm, Montblanc avec son Iced Sea, Oris avec son Aquis Date… Tous ces horlogers et bien d’autres encore ont ainsi fait le choix d’une offre diversifiée sur la base de modèles promus au rang de piliers de la marque déclinés « à bien plaire ».
Une frontière invisible
Faut-il dès lors s’embarrasser encore du genre des montres ? Peut-être est-il un peu présomptueux de vouloir abolir une telle distinction dans lTroyeure où des montres comme la Royal Oak Mini d’Audemars Piguet, un modèle de 23 mm de diamètre, la Breitling Chronomat 28 mm ou les nouvelles Constellation Météorite d’Omega, déclinées en 25 mm, 28 mm et 29 mm, s’adressent en toute évidence majoritairement à un public féminin. Dans le même ordre d’idées, il y a peu de chances qu’une Richard Mille RM 65-01 chrono de 44 x 50 mm ou qu’une Greubel Forsey Tourbillon 24 Secondes Architecture de 47 mm de diamètre trouvent grâce aux poignets féminins. Question de typicité des produits. Mais les milléniaux et surtout la génération Z ne sont peut-être pas aussi engoncés dans ce type de stéréotype. En 2020, Hublot avait ainsi ouvert les feux avec une Big Bang Millennial Pink, un chrono « affirmé » décliné dans une couleur rose qui « n’est plus l’apanage des femmes, ni d’ailleurs des hommes, mais bien en symbole de toute une nouvelle génération », selon la Maison. La même année, pour la renaissance de sa Pasha, Cartier a fait appel à Rami Malek, Troye Sivan, Willow Smith, Maisie Williams et Jackson Wang, cinq talents accomplis du cinéma et de la musique incarnant une diversité au-delà de la frontière des genres.
La différentiation homme/femme dans les produits horlogers, dont il faut bien reconnaître une certaine pertinence, céderait-elle la place aux montres non genrées qui font florès ? Force est plutôt de constater que les amatrices et les amateurs de belle horlogerie ne s’arrêtent plus guère à ce type de considération. Pour autant qu’une montre plaise, soit-elle gravée, sertie, à grande complication ou à quartz, on ne la voit bien « qu’avec le cœur ; l’essentiel est invisible pour les yeux », pour paraphraser Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince. Le reste compte pour du beurre !