Mercedes Gleitze ! Pour qui porte un œil attentif à l’histoire horlogère, ce nom ne peut rester inconnu. D’une part, parce que le 7 octobre 1927 cette Anglaise de 7 ans a réussi un rare exploit sportif en étant la première femme à traverser la Manche sans assistance en 15 heures et 15 minutes, et, de l’autre, parce que Rolex s’est largement chargée de le faire savoir. Et pour cause, cette nageuse portait une « Oyster », la toute première montre-bracelet véritablement étanche sortie indemne de cette immersion prolongée. Ce modèle développé par Rolex en 1926, présenté comme « la montre miracle qui défie les éléments », intégrait deux innovations majeures : une lunette et un fond vissés, ainsi qu’une couronne de remontoir filetée qui permettait de sceller le boîtier. Jamais avare de « coups publicitaires », Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex en 1905, fit paraître une série d’annonces dans la presse britannique pour célébrer l’événement. Et faire de Mercedes Gleitze une sirène des mers pour l’éternité. Rolex n’allait d’ailleurs pas en rester là. À la suite de l’exploit de son égérie, les montres Oyster trônaient en vitrine des boutiques horlogères plongées dans un aquarium. Question d’apporter une preuve irréfutable de son étanchéité pour qui se permettait encore d’en douter.
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La « petite » histoire horlogère au féminin
de Christophe Roulet
L’histoire horlogère n’est pas sans anecdotes relatives au rôle des femmes dans cet univers éminemment masculin. Elles mettent en lumière des événements qui ont fait date, d’autres moins, tous cependant indispensables.
Des femmes d’exception
Le choix d’une femme pour attester des qualités de cette montre, fruit d’un développement majeur dans l’univers de la mesure du temps, était judicieux à plus d’un titre. Non seulement les figures féminines étaient à l’époque complètement absentes du paysage technique horloger, courtisées uniquement dans le registre de la montre-bijou, mais elles ne suscitaient guère plus d’attention dans le domaine du sport et de l’exploration. Mercedes Gleitze apportait un démenti cinglant à cette vision étriquée du monde, donnant raison à Rolex d’avoir cru en son talent et à sa ténacité en devenant la première femme à incarner des valeurs que l’on pensait strictement masculines. Paradoxalement, la montre Oyster de Rolex, qui allait conquérir le monde au poignet de mâles aventuriers, a fait ses preuves grâce à une femme, véritable « alma mater » de vertus trop longtemps ignorées.
Les qualités de l’Américaine Amelia Earhart n’ont pas davantage manqué de frapper les esprits à pareille époque. Aviatrice intrépide, célèbre notamment pour avoir été la première femme à traverser l’océan Atlantique en solitaire en 1932 à bord d’un Lockheed Vega durant quinze heures, elle est désormais indissociable des montres qui l’ont accompagnée lors de ses exploits aériens. C’est du moins ce qu’ont mis en exergue les Maisons de ventes aux enchères qui ont dispersé ces modèles d’anthologie et, parmi eux, un très rare chronographe monopoussoir à rattrapante Patek Philippe de forme coussin au destin singulier. C’est le magnat des affaires américain Gordon Selfridge, fondateur d’une des plus grandes chaînes de magasins au Royaume-Uni, qui devait passer commande du modèle en 1928 auprès de la Maison genevoise. Son but : rendre hommage à son ami Henry Segrave, détenteur de trois records de vitesse terrestres et premier homme à dépasser les 200 miles à l’heure (320 km/h) en 1927. Las, Henry Segrave devait décéder en 1930 lors d’une tentative de record de vitesse sur l’eau sa Patek Philippe au poignet. La montre, toutefois, ne fut pas perdue pour autant. Récupérée par son commanditaire Gordon Selfridge et remise en état par la Maison genevoise, elle devait jouir d’une seconde vie au poignet d’Amelia Earhart, autre amie d’Henry Segrave, à qui il voulait témoigner de son « intense admiration ». Elle aussi devait disparaître accidentellement en 1937. La tentative de tour du monde en avion par l’Est de cette aventurière exceptionnelle s’est soldée par sa disparition en mer. Ses montres, Longines et Patek Philippe, lui ont toutefois survécu, forgeant une légende au féminin digne des annales horlogères.
Stars d’Hollywood
Quelque trente ans plus tard, un autre chronographe allait également entrer dans la légende. Une montre signée Rolex, dont la notoriété doit beaucoup à l’immense acteur que fut Paul Newman et dont la touche « féminine » en a fait un garde-temps d’exception. Tout démarre dès 1902 à Daytona Beach, dans le creux d’une plage de Floride où se disputent les premières courses qui marqueront l’histoire des sports mécaniques. Rolex est très rapidement de la partie et devient même « montre officielle » en 1959 lorsque le « terrain de jeu » se déplace au nouveau Daytona International Speedway. Bien décidé à conquérir le marché américain, Rolex présente en 1963 son fameux Cosmograph, un chronographe conçu comme une montre instrument dédiée aux professionnels de la course automobile, arborant pour certains un cadran « exotique » avec compteurs noirs sur fond blanc ou l’inverse. C’est précisément ce modèle qui devait connaître la célébrité, bénéficiant d’un coup de pouce inattendu du film Virages (titre anglais : Winning), sorti en 1969. En vedette, Paul Newman y arbore sa Cosmograph au cadran « exotique », un cadeau de son épouse Joanne Woodward, qui avait fait graver au dos du boîtier « Drive Carefully Me ». Parmi les différentes Cosmograph Daytona propriétés de Paul Newman, c’est précisément cette pièce qui devait affoler les compteurs en 2017. Vendue aux enchères pour 17,8 millions de dollars, elle représente le record absolu des encans horlogers de montres-bracelets.
En 1963, l’année même où Rolex présentait sa montre Cosmograph Daytona, un autre film allait sceller l’osmose entre une autre immense star hollywoodienne et sa marque fétiche. Des parures et des montres signées Bulgari, le seul mot « italien » qu’Elizabeth Taylor savait prononcer et qu’elle chérissait, comme on peut s’en rendre compte sur les photos d’époque où elle porte notamment la fameuse montre-bijou Serpentid’Égypte » par son amant. Des parures et des montres signées Bulgari, le seul mot « italien » qu’Elizabeth Taylor savait prononcer et qu’elle chérissait, comme on peut s’en rendre compte sur les photos d’époque où elle porte notamment la fameuse montre-bijou Serpenti indissociable de la Maison romaine.
Égéries du quotidien
Cette décennie des années 1960, marquée par une intense créativité, allait être propice aux nouvelles idées et notamment à celles insufflées aux Maisons horlogères par les stars et personnalités du moment. C’est notamment le cas de Cartier avec María Felix, actrice et chanteuse mexicaine devenue incontournable dans l’industrie cinématographique latino-américaine du milieu du siècle dernier. Aux côtés de Cartier, l’actrice connue pour ses prises de position contre les conventions sociales imposées aux femmes mexicaines de l’époque, a contribué à la création de montres et bijoux totalement innovants, dont le fameux collier crocodile de 1975.
De son côté, Piaget a également su séduire nombre de personnalités avec ses montres-bijoux extra-plates, notamment avec l’introduction dès 1963 de cadrans ovales en pierres dures puis avec sa fameuse Collection du xxie siècle lancée six ans plus tard. Sophia Loren ou Gina Lollobrigida comptaient parmi les amatrices, tout comme Jackie Kennedy, qui fit l’acquisition en 1967 d’un modèle au cadran ovale en jade avec lunette sertie de diamants et d’émeraudes sur bracelet en or décor Palace. C’est cette même montre que l’on découvre dans le film Jackie avec Natalie Portman sorti en 2016, aimablement prêtée par la Maison Piaget pour l’occasion.
Plus récemment, de nouvelles collaborations n’ont pas manqué d’attirer l’attention des « fashonistas ». Rihanna et Jacob & Co., Taylor Swift et Lorraine Schwartz, Julia Fox et Hodakova, Emma Chamberlain et sa montre Baignoire de Cartier ont fraîchement montré que le porter de la montre n’est en rien figé. Avec toute l’imagination dont ces partenariats sont capables, les garde-temps se muent en colliers ras-du-cou, en chaînes de cheville quand ils ne constituent pas un vêtement à part entière. Est-il encore question de donner l’heure ?