FHH | Les premières collections féminines

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24 Octobre 2025

Les premières collections féminines

de Christophe Roulet

Au début du xxe siècle, avec la démocratisation de l’horlogerie et la miniaturisation des mécanismes, plusieurs horlogers ont développé une offre de montres spécifiquement féminines. Ces pièces s’apparentent toutefois à des bijoux qui donnent l’heure, tandis que la montre dame d’usage quotidien devient une sous-catégorie de son pendant masculin. 

Si l’on doit aux femmes le port de la montre au poignet dès le xixe siècle, bien avant que les hommes ne les imitent pour des raisons pratiques, il faut attendre les années 1900 pour que cet usage commence à se généraliser. La révolution industrielle aidant, l’horlogerie a commencé à perdre son statut huppé basé sur des développements techniques et scientifiques réservés aux élites. Avec la mise au point de calibres aux pièces interchangeables et l’instauration des premières chaînes d’usinage et de montage aux États-Unis puis en Europe, la montre est progressivement devenue un objet du quotidien à la portée du plus grand nombre. Il faudra certes encore deux à trois décennies pour que les modèles de poche perdent leur hégémonie. Les nouveaux codes vestimentaires, l’évolution des us et coutumes, la lente apparition d’une société de loisirs couplée aux envies d’horizons lointains et d’activités de plein air commandaient toutefois un autre porter de la montre. Ce que les poilus du premier conflit mondial avaient instauré, les civils allaient le démocratiser. L’ère de la montre-bracelet était née.

De leur côté, les femmes avaient depuis longtemps pris l’habitude de varier les plaisirs horlogers, arborant leurs montres comme des bijoux d’une grande préciosité à porter en sautoir, en broche, au pendant… Il n’en reste pas moins qu’à leur poignet la place était à prendre. D’autant qu’en matière de « montres de poche » elles n’avaient rien à envier à la gent masculine. Certains horlogers ont ainsi très vite compris tout l’intérêt à développer des modèles exclusivement féminins pour un public conquis. Dès lors, pourquoi changer les règles du jeu ? Étant donné que les femmes semblaient bel et bien apprécier les produits horlogers comme un accessoire à marier avec leur tenue, c’est le côté bijoutier qui, forcément, devait l’emporter. Non sans poser le problème récurrent de la miniaturisation, réalisable seulement au détriment de la précision. Mais l’heure est aux changements. Avec les Années folles, l’avènement de l’Art déco et les premiers signes patents d’émancipation féminine, l’audace est de mise. Certains horlogers sauront y répondre, notamment avec des montres dites « de forme ». 

Coup de génie de Jaeger-LeCoultre

Jaeger-LeCoultre est de ceux-là. Dès 1908, cette Maison née de l’association du Français Edmond Jaeger et du Suisse Jacques-David LeCoultre réalise quelques-unes des premières montres-bracelets pour dame. Il faudra toutefois attendre 1925 et le développement de la montre Duoplan (calibre LeCoultre 7 BF) pour un premier coup de génie de la manufacture. Grâce à une construction sur deux niveaux permettant de conserver un grand balancier en plaçant la plus grande partie des rouages sur un second « plan », Jaeger-LeCoultre réconciliait deux qualités a priori antinomiques : miniaturisation extrême et grande précision. « Plus qu’une invention technique, le Duoplan est une vision d’avant-garde, note Franco Cologni dans son livre référence Jaeger-LeCoultre. La Grande Maison. Depuis toujours en Occident, la maîtrise du temps exact était demeurée l’apanage de la gent masculine. Les femmes, par la nature de leurs occupations, n’avaient aucun besoin de connaître l’heure. Aussi la montre au féminin fut-elle longtemps conçue comme un bijou […]. »

 

Jaeger-LeCoultre 101 Feuille

Jaeger-LeCoultre 101 Feuille

Et de poursuivre : « Dans un tel contexte, l’invention de la montre Duoplan peut être considérée comme une étape importante de l’affirmation du statut et du rôle social de la femme parce que cette création allie l’élégance féminine à la belle horlogerie. » La Duoplan allait être interprétée de « mille et une manières ». Parmi elles, les premières versions équipées du fameux calibre 101 datant de 1929 sont à marquer d’une pierre blanche. Toujours en production, ce calibre est en effet le plus petit mouvement mécanique jamais réalisé (14 x 4,8 x 3,4 mm). « Petits garde-temps, grande histoire, note encore Franco Cologni. Parmi les nombreuses créations auxquelles le calibre 101 a donné le jour figure la montre que la reine Élisabeth II d’Angleterre portait le jour de son couronnement en 1953. » 

Jaeger-LeCoultre montre à seret Duoplan

Jaeger-LeCoultre montre à seret Duoplan

Ce Paris des Années folles

Vacheron Constantin fait également partie de ces horlogers qui ont parfaitement su accompagner la femme dans ses nouvelles aspirations horlogères. À son actif, une collaboration des plus fructueuses avec Ferdinand Verger et ses fils, les représentants de la Maison à Paris spécialisés dans les boîtiers de montre qui permettent à Vacheron Constantin d’« être au cœur de la capitale de la mode d’alors et d’utiliser son agent pour suivre l’évolution des goûts et des tendances », peut-on lire dans l’ouvrage Vacheron Constantin. Artistes du temps. De fait, entre 1910 et 1930, de nombreuses créations communes voient le jour, notamment équipées d’un petit mouvement « tuyau » développé par Vacheron Constantin en 1915. Sur cette base, Verger Frères réalise pour la Maison « une montre qui va connaître un succès considérable : l’ultra-fine montre “baguette” pour dame, fleuron horloger de style moderne », raconte l’ouvrage. 

Vacheron Constantin montre avec mouvement 'tuyau' pour le Maharadjah de Patiala - 1916

Vacheron Constantin montre avec mouvement 'tuyau' pour le Maharadjah de Patiala - 1916

Dans ce Paris qui fait tourner les têtes, le « roi des joailliers et joaillier des rois » Cartier comprend vite tout l’intérêt de diversifier les activités de la Maison vers l’horlogerie. Dès les années 1910, elle va rapidement se distinguer avec des montres-bracelets qui rompent définitivement avec l’archétype de la montre de poche ronde. Parmi les Santos, Baignoire et autre Tortue, la montre Tank va connaître une destinée exceptionnelle dès 1917. « Il est intéressant de noter qu’en six mois, Louis Cartier a changé d’avis et jugé que le nom d’une montre Tank, malgré sa connotation masculine, pouvait être le nom d’une montre dame, explique-t-on dans l’opus Cartier. La Montre Tank. Icône du temps. Depuis la fin de la guerre, l’idée que l’on se fait de “l’éternel féminin”, bouleversé par l’évolution du statut de la femme, se transforme radicalement. » Au fil de ses déclinaisons, jamais interrompues à ce jour, la montre Tank n’a ainsi jamais cessé d’incarner, tout en élégance, une horlogerie de rupture particulièrement adaptée au poignet féminin. Tout aussi adaptée et tout aussi audacieuse, la montre Cadenas de Van Cleef & Arpels apparue en 1935 est également devenue une pièce emblématique. Première incursion du joaillier dans l’univers de la mesure du temps, cette montre, toujours en production, offrait un dessin parfaitement avant-gardiste avec son boîtier en forme de cadenas au cadran incliné retenu par une double chaîne serpent en guise de bracelet. 

D’Elizabeth Taylor à Marilyn Monroe

C’est toujours dans une interprétation bijoutière et une nouvelle fois en référence au serpent que Bulgari lance sa première création horlogère en 1948. Avec la Serpenti, la Maison italienne fondée à Rome en 1884 créait une « montre-bijou à enrouler autour du poignet avec un corps souple », soit le célèbre bracelet Tubogas fait de bandes flexibles construites sans soudure sur une lame-ressort que Bulgari est parmi les rares à maîtriser. Depuis, la Serpenti est devenue indissociable de l’univers féminin de la Maison, « alliée des femmes qui ont le droit d’être indépendantes, de cultiver leur talent et de poursuivre leurs rêves », selon le narratif de la Maison, à l’image d’Elizabeth Taylor, une inconditionnelle de Bulgari, immortalisée sur le tournage de Cléopâtre sa Serpenti au poignet. 

Bulgari Serpenti Tubogas - 2016

Bulgari Serpenti Tubogas - 2016

Une dizaine d’années plus tard, c’était au tour de Blancpain de se distinguer, une Maison emmenée par Betty Fiechter, la première femme présidente et propriétaire d’une prestigieuse manufacture horlogère devenue une figure de légende dans l’univers horloger. En 1956, Blancpain présentait ainsi la Ladybird équipée du plus petit mouvement rond au monde, d’un diamètre d’à peine 11,85 mm. « La Ladybird reçut un accueil commercial incroyable, vendue à la fois sous le label de Blancpain et sous celui d’autres marques horlogères et joaillières, expose Jeffrey Kingston dans Lettres du Brassus. De nombreuses Ladybird furent exportées en tant que mouvements manufacturés. C’est ainsi que certaines furent déclinées avec un boîtier en or et, souvent, décorées de pierres précieuses arborant ainsi une allure plus joaillière. C’est l’une de ces montres-bijoux qui séduisit Marilyn Monroe. » Une pièce mythique acquise par la Maison lors d’une vente aux enchères à New York en 2016. 

Patience et longueur de temps…

Tous ces modèles offrent d’excellents exemples de montres en phase avec les grandes tendances de la mode et des arts décoratifs du moment. Si la première moitié du xxe siècle a certes connu deux conflits mondiaux et la Grande Dépression, les ténors de l’horlogerie-joaillerie ont tenu bon, toujours proches d’une clientèle sensible à leurs élans créatifs, notamment parmi les femmes. Il n’est reste pas moins que ce type de pièces restait réservé à des personnes fortunées, issues du monde des affaires ou de la culture, en raison des matériaux nobles utilisés et des métiers d’art impliqués, notamment au niveau du sertissage. Pour les montres abordables et d’un usage quotidien, les femmes n’avaient guère d’autre choix que de se reporter sur une offre généralement dérivée des modèles masculins, simplement déclinés en plus petites tailles. Et encore, entre les deux itérations d’un même modèle, il fallait souvent attendre des années. Les Maisons Rolex et Omega, qui comptent parmi les horlogers aux plus importants volumes de production, en offrent une excellente illustration. 

Chanel Première avec Carole Bouquet - 1989

Chanel Première avec Carole Bouquet - 1989

C’est en 1957 que Rolex a présenté son incontournable Lady-Datejust. Cette montre « concentre tous les attributs de la Datejust, montre emblématique de Rolex qui impose son style et ses performances techniques dès son lancement en 1945, explique la Maison. Première version pour femme de ce chronomètre à calendrier, la LadyDatejust perpétue l’élégance de la Datejust dans un petit boîtier qui sied à merveille aux poignets fins ». Quelque douze ans d’attente donc chez Rolex ! Quant à Omega, si son emblématique Constellation, une montre de haute précision, date de 1952, c’est seulement quinze ans plus tard, en 1967, que ses déclinaisons féminines apparaissent dans la collection. C’est dire si la montre dame n’a intéressé que tardivement les horlogers autrement qu’en versions haut de gamme. Le lancement de la Happy Diamonds de Chopard, en 1976, et celui de la ligne Première de Chanel, en 1987, deux créations originales pour femme, sont encore à classer parmi les montres bijoux qui enregistraient alors un nouvel élan grâce au quartz. Il faudra finalement attendre le retour en grâce de la montre mécanique pour que les choses changent…