FHH | L’histoire horlogère au féminin

L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin

L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin . L’histoire horlogère au féminin

24 Octobre 2025

L’histoire horlogère au féminin

de Christophe Roulet

Peu nombreuses, les femmes dont l’histoire horlogère se souvient n’en ont pas moins marqué les esprits. Ce qui n’occulte en rien l’omniprésence des montres dans la parure féminine dès les années 1600. 

À évoquer l’histoire horlogère, force est de constater que l’on s’intéresse à un univers exclusivement masculin. Jusqu’au xxe siècle, aucune figure féminine n’émerge du côté des professionnels qui ont fait progresser la science de la mesure du temps ou tout du moins qui ont laissé un nom dans cette véritable « aventure humaine ». À une exception près : Nicole-Reine Lepaute (1723-1788), astronome et mathématicienne française qui fut d’une aide précieuse lorsque son mari, Jean-André Lepaute, horloger du roi dès 1753, s’ingénia à concevoir des horloges astronomiques. Elle le seconda non seulement pour les calculs indispensables à la réalisation de ses projets mais également pour leur concrétisation.

C’est ainsi à Nicole-Reine Lepaute que l’on doit le calcul des tables d’oscillation du pendule nécessaire au Traité d’horlogerie rédigé par son mari, sans oublier ses contributions majeures aux travaux de l’astronome Jérôme de Lalande, lui-même associé au mathématicien Alexis Clairaut. Cette collaboration, lancée par son mari, allait notamment porter sur le calcul de la date précise du retour de la comète de Halley de 1759 ou encore sur celui de l’éphéméride astronomique publié dans La Connaissance du temps. Alexis Clairaut refusa néanmoins toute mention de Nicole-Reine Lepaute dans ses publications, contrairement à Jérôme de Lalande, qui sut apprécier à sa juste valeur celle qui, fait rarissime, fut admise à l’Académie des sciences de Béziers. Elle était « un maître plutôt qu’un émule », reconnaissait Jérôme de Lalande pour « s’occuper avec succès de calculs astronomiques ». 

Nicole-Reine Lepaute (1723-1788) mathématicienne et astononome française

Nicole-Reine Lepaute (1723-1788) mathématicienne et astononome française

La montre, un accessoire important

Dit brièvement, au siècle des Lumières, les femmes étaient exclues des sociétés savantes, des universités et des professions érudites. Soit les femmes éduquées étaient autodidactes, soit elles avaient eu des tuteurs ou bénéficié de l’éducation d’un père à l’esprit libéral. Rousseau n’écrivait-il pas dans La Nouvelle Héloïse qu’« ainsi toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes » ? Les exceptions se comptent sur les doigts de la main, à l’image de Nicole-Reine Lepaute, à une époque où pour une femme « tenir salon » était encore le signe le plus patent d’une reconnaissance sociale. Les femmes ne disparaissent pas pour autant du paysage horloger. « Dès les années 1730 jusque dans le courant du xixe siècle, les montres deviennent un accessoire important de la parure, tant féminine que masculine, note l’historien Dominique Fléchon dans l’ouvrage de référence La Conquête du temps. Dans les familles aisées, il est d’usage d’en déposer plusieurs dans la corbeille de la mariée. Celle-ci les distribue ensuite à ses amies et à ses demoiselles d’honneur. La femme porte alors son garde-temps en sautoir ou, comme les hommes à la mode, suspendu à une châtelaine accrochée à la ceinture. »

La présence d’« objets » horlogers dans le vestiaire féminin ne date toutefois pas du siècle des Lumières. Une centaine d’années plus tôt, les diverses techniques d’émaillage, souvent associées à d’autres métiers d’art, sont utilisées dans la décoration des boîtes de montre. Il est alors d’usage courant de la porter suspendue à son cou, quand les premières prouesses réalisées dans la miniaturisation ne permettent déjà pas de loger les mécanismes horlogers dans des boucles d’oreille ou des bagues. Selon le répertoire de ses joyaux dressé en 1587, Élisabeth 1re (1533-1603) possédait un grand nombre de montres à porter au cou, au doigt ou à la ceinture, note encore Dominique Fléchon. Mais si son nom est devenu une référence dans le grand livre horloger, c’est surtout parce que cette souveraine, qui a régné sur l’Irlande et l’Angleterre de 1558 à sa mort, est la toute première personne qui aurait arboré une montre au poignet – une pièce ronde sertie de diamants suspendue à un « armlet » –, un cadeau offert par son favori et maître d’écurie le comte de Leicester en 1572. Une tendance, déjà ? En tout état de cause, celle des montres-bijoux était lancée.

 

Breguet en fête

Si l’horlogerie se répand alors au sein des différentes cours européennes, ses adeptes féminines n’ont pas seulement prisé ces premiers garde-temps en tant que pièces d’apparat à exhiber en société. La mécanique horlogère, déjà, fascine, comme en témoigne l’admiration que la reine Marie-Antoinette d’Autriche (1755-1793) vouait à Abraham-Louis Breguet, l’horloger du roi dont elle soutint la carrière, vantant ses mérites à la Cour et à ses hôtes étrangers. Le roi Louis XVI avait déjà passé commande de plusieurs pièces signées Breguet pour les offrir à sa femme. Mais c’est un autre admirateur, probablement son favori, le Suédois Axel de Fersen, qui devait approcher le célèbre horloger pour la réalisation d’une pièce d’exception à l’intention de Marie-Antoinette : une montre de poche qui compte encore aujourd’hui parmi les plus techniques jamais réalisées avec 23 complications, toutes celles connues à l’époque. Las, la reine devait être guillotinée avant que la montre soit terminée en 1802, au terme de sa fabrication, qui aura pris dix-neuf ans. 

Réplique Breguet Marie-Antoinette No 1160

Réplique Breguet Marie-Antoinette No 1160

Breguet ne sut toutefois pas séduire seulement Marie-Antoinette par son talent. Originalité de ce modèle à répétition à quarts et thermomètre mécanique, son boîtier en forme de goutte que l’on retrouve désormais dans les collections Reine de Naples contemporaines de la Maison Breguetaison éponyme, en 1805, elle achetait sa première Breguet à l’âge de 23 ans. Quelque dix ans plus tard, sa collection en comptait 34. Parmi elles, une montre acquise en 1812 qui fait également date dans l’histoire horlogère comme l’une des premières montres-bracelets au monde. Conçue en collaboration avec Caroline Murat, Breguet réalisa une « montre à répétition oblongue pour bracelet », en l’occurrence une attache faite de cheveux entrelacés de fils d’or. Originalité de ce modèle à répétition à quarts et thermomètre mécanique, son boîtier en forme de goutte que l’on retrouve désormais dans les collections Reine de Naples contemporaines de la Maison Breguet. 

De précurseurs poignets féminins

Abraham-Louis Breguet n’est d’ailleurs pas le seul horloger à avoir conçu sa première montre-bracelet pour une femme. Tel est le cas également de Patek Philippe. En 1868, l’horloger réalisait ainsi une pièce en or jaune sculptée avec un boîtier rectangulaire orné d’émail et de diamant pour la comtesse hongroise Koscowicz. La première répétition minutes à porter au poignet de Patek Philippe devait également être conçue pour femme, soit une répétition cinq minutes à deux timbres logée dans un boîtier en platine de 33,6 mm vendue en 1916 à New York à une certaine Mme D.O. Wickham. À pareille époque, plus précisément en 1912, c’est également une femme qui incita Hermès à réaliser sa première montre de poignet. La petite histoire raconte que Jacqueline Hermès, petite-fille du fondateur, aurait demandé à son père de créer une pochette pour sa montre de poche, qu’elle jugeait peu pratique lors de ses activités de loisir. Résultat : elle se vit offrir un « porte-oignon » en cuir à attacher au poignet, commémoré cent ans plus tard par La Montre Hermès sous la forme d’une pièce « In the Pocket ». 

Hermès In the Pocket

Hermès In the Pocket

Bien avant que les militaires du premier conflit mondial n’aient commencé à porter leur montre au poignet, bien avant que la révolution industrielle n’instaure une ère de l’automobile et de l’aviation devant entraîner définitivement la montre hors de son gousset, les horlogers, qui se devaient de répondre à ces nouveaux besoins, avaient déjà prêté une oreille attentive aux envies des femmes. Ce sont elles qui ont bouleversé les codes du porter de la montre. Ce sont elles qui, dxxeout temps, ont incité les Maisons de la branche à faire preuve d’imagination et de créativité. Avant que la mécanique horlogère ne devienne une chasse gardée masculine au cours d’un xxe siècle quelque peu amnésique quant aux riches heures passées de l’horlogerie au féminin. 

Patek Philippe montre de la comtesse Koscowicz

Patek Philippe montre de la comtesse Koscowicz