FHH | Le renouveau féminin de la montre mécanique

Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique

Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique . Le renouveau féminin de la montre mécanique

28 Novembre 2025

Le renouveau féminin de la montre mécanique

education

de Christophe Roulet

Pendant longtemps, les montres pour femme ont été « réduites » à de simples versions plus petites de leurs pendants masculins. Tel n’est plus le cas. En marge des montres métiers d’art, pratiquement tous les horlogers ont développé des collections à leur intention, complications mécaniques et poétiques comprises. 

i l’on en juge de l’évolution des mœurs horlogères d’après celle du Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG), volontiers décrit comme les « oscars » de la profession, il n’est pas inintéressant de se pencher sur son histoire récente. Malgré les bémols que suscitent cette manifestation et le refus catégorique de certaines Maisons d’y participer, force est de constater que le GPHG est devenu incontournable dans le landerneau horloger et que les « élites » qui s’y réunissent sont de plus en plus nombreuses. Or que dit le GPHG en ce qui concerne la vision horlogère de la femme ? Il souligne un changement des mentalités en 2013 avec la création de deux nouvelles catégories : celle de la complication pour dame et une autre consacrée aux métiers d’art. Le nombre de récompenses allouées était ainsi porté à dix. Il allait encore doubler !

En 2013 seulement ? Si la question peut sembler anodine, elle n’en reflète pas moins, schématiquement, un avant et un après les années 2010. Au tournant du siècle et avec le renouveau de la montre mécanique, on aurait raisonnablement pu penser que les horlogers saisiraient la balle au bond en donnant – enfin – aux femmes accès à des créations autres que des modèles sertis ou des versions miniatures de leurs montres pour homme. Il fallait toutefois déchanter. La ritournelle selon laquelle « Ddiamonds are the girl’s best friends » a décidément eu la vie dure. En d’autres termes, c’est encore et toujours une clientèle masculine qu’il fallait cibler. Tout d’abord pour satisfaire ses propres envies horlogères, ensuite pour lui donner l’opportunité d’offrir un cadeau à l’élue de son cœur, si possible lesté de suffisamment de carats pour faire bonne figure.

Réveil tardif

Fort heureusement, en une décennie les Maisons ont compris la nécessité de s’adapter à l’affirmation de la femme dans l’univers de la mesure du temps, en d’autres termes à ses préférences pour des montres correspondant à ses propres découvertes et desiderata et non plus à une horlogerie par procuration. Cet « éveil » devait nécessairement aller de pair avec la progressive montée en puissance d’une nouvelle génération de femmes venues fort heureusement casser les codes par trop machistes de la profession. On retrouve donc aujourd’hui des femmes à la tête de grandes Maisons comme Audemars Piguet, Chopard ou Van Cleef & Arpels, des entrepreneuses indépendantes comme Fiona Kruger ou Christelle Rosnoblet (Speake-Marin), des responsables produits/design comme Carole Forestier-Kasapi (TAG Heuer) ou Cécile Guenat (Richard Mille). Des femmes qui viennent succéder aux pionnières que furent Aletta Stas, cofondatrice de Frédérique Constant en 1988, Jacqueline Dimier, responsable du bureau de création chez Audemars Piguet il y a une cinquantaine d’années, ou Betty Fiechter, copropriétaire de Blancpain dès les années 1930. Certes encore trop effacée dans les sphères décisionnaires de l’horlogerie, cette présence féminine n’en correspond pas moins à un changement positif qui trouve son pendant dans une offre produits que l’on peut juger suffisamment diversifiée pour satisfaire tous les publics. 

Femmes à la tête de grandes Maisons

Femmes à la tête de grandes Maisons

Simplement dit, les pièces conçues spécifiquement pour les amatrices de belles mécaniques font aujourd’hui florès. Que certaines d’entre elles se parent toujours de diamants, émeraudes et autres améthystes, dans la grande tradition de la montre bijou, n’occulte en rien cet irrésistible engouement de la femme pour ce qui a tellement séduit son pendant masculin : l’attrait pour un produit qui a accompagné l’aventure humaine depuis plus de cinq siècles. Et si certains modèles sont toujours équipés d’un mouvement à quartz pour les rendre plus accessibles, qui saurait s’en plaindre du moment qu’ils véhiculent des valeurs de bienfacture, de précision et de durabilité ? De nos jours, est-il encore nécessaire de préciser que les femmes ont des activités, des ambitions, des tempéraments et des styles de vie aussi variés que ceux des hommes ? Dès lors, elles peuvent clairement revendiquer une diversité horlogère qui leur a trop longtemps fait défaut. Aux modèles très techniques ou plus avant-gardistes doivent répondre des pièces fantaisistes, délicates ou métiers d’art, ne serait-ce que pour en terminer avec leur statut d’oubliées. 

« Une stratégie intelligente »

Les Maisons qui se sont fait une place de choix dans l’univers de la mode et de la joaillerie n’ont certainement pas attendu les années 2010 pour rendre hommage à la femme avec des pièces d’anthologie. Les Serpenti et plus récemment Lucea chez Bulgari, les Baignoire et Panthère chez Cartier, les Première et plus récemment Boy·Friend chez Chanel, les Cape Cod et Kelly chez Hermès, les Limelight Gala de Piaget, inspirées de ses fameux modèles aux cadrans en pierre dure des années 1960… Toutes ces montres et bien d’autres ont depuis longtemps célébré l’éternel féminin, laissant les horlogers sur la touche. La polarisation du secteur, entamée dès les années 1990 et sanctionnée par l’émergence de grands groupes horlogers cotés en Bourse, a toutefois clairement mis en lumière l’impératif de rentabilité du secteur. Dans ce contexte, fallait-il vraiment s’interroger quant à la pertinence d’une offre crédible en matière de montres pour femme, en sachant qu’elles représentent potentiellement la moitié de la clientèle ? 

À vos marques, prêts…

Les horlogers ont ainsi très vite compris qu’il valait mieux étoffer leur offre pour rester dans la course. Réaction immédiate : adapter leurs icônes aux poignets féminins, comme l’ont fait Audemars Piguet avec sa Royal Oak, Breitling avec sa Navitimer, Hublot avec sa Big Bang, Omega avec sa Speedmaster ou encore Panerai avec sa Luminor. Deuxième initiative, plus hasardeuse mais nettement plus identitaire : lancer de nouvelles collections à l’instar de Breguet avec la Reine de Naples, F.P.Journe avec Élégante, Jaeger-LeCoultre avec Rendez-Vous, Patek Philippe avec Twenty~4 ou Vacheron Constantin avec Égérie. Même les Maisons volontiers « confinées » dans l’univers masculin ont diversifié leurs modèles à l’instar de MB&F avec sa Legacy Machine FlyingT, Richard Mille avec ses Bonbon, Talisman et autres RM 07-04 Sport ou encore TAG Heuer avec ses Carrera et Aquaracer. Sans oublier les montres à complications spécifiquement féminines (lire Encadré 1).  

Charlyze Theron et sa Navitimer 36 de Breitling

Charlyze Theron et sa Navitimer 36 de Breitling

À côté de modèles métiers d’art (lire Encadré 2), les horlogers auraient-ils trouvé la formule idéale en matière de montres dame en développant des pièces confortables, raisonnablement accessibles, dotées de mouvements mécaniques et dépouillées de tous ces « flonflons » qui rendent certaines d’entre elles parfaitement inadaptées au quotidien et d’un prix exorbitant, comme le stigmatisait une professionnelle de la branche ? Si l’on demande à une montre les attributs indispensables que sont un calibre de haute technologie, une esthétique originale et maîtrisée, d’excellentes finitions, une parfaite lisibilité et un confort au poignet au sein d’une variété de modèles et de prix qui rendent le choix difficile, les garde-temps destinés aux femmes s’affirment aujourd’hui comme un univers en soi. Il y a encore certes de chemin à parcourir pour que l’offre de montres dame fasse jeu égal avec celle de garde-temps pour homme, mais est-ce un objectif réaliste, voire nécessaire ? Avec des frontières de plus en plus poreuses entre ces deux catégories, la question qui se pose n’est-elle finalement pas celle d’une esthétique horlogère susceptible d’assouvir avec bonheur toutes les envies ? 

ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 1 ENCADRÉ 1

Poésie à complication 

Historiquement, l’horlogerie mécanique a connu sa « Sainte Trinité », un trio prestigieux composé d’Audemars Piguet, Patek Philippe et Vacheron Constantin. Or, aussi étonnant que celui puisse paraître, le deuxième nommé a attendu 2009 pour présenter son premier mouvement chronographe maison, le calibre CH 29-535 PS, fruit de cinq ans de développement, venu remplacer le CH 27-70 sur base Lémania. Les aficionados de la marque ont toutefois dû prendre leur mal en patience. C’est aux femmes que Patek Philippe a dédié en priorité cette réalisation avec la Ladies First Chronograph réf. 7071 de forme coussin, remplacée en 2018 par la réf. 7150/250R-001 au boîtier rond équipé du même mouvement CH 29-535 PS. Fallait-il un indice supplémentaire pour comprendre que l’horlogerie à complication est aussi un univers féminin ?

Certainement pas si l’on en juge par les créations les plus imaginatives, voire fantasmagoriques, conçues par certaines Maisons à l’intention des amatrices. Van Cleef & Arpels est passé maître en la matière avec ses Complications Poétiques®, où les amoureux se rencontrent mécaniquement sur un pont pour échanger un baiser deux fois par jour, où les fées ont des ailes mobiles rétrogrades et où l’éclosion de fleurs indique l’heure. Chez Fabergé, c’est le déploiement de la roue d’un pan qui sert d’affichage, tandis que la montre Panthères et Colibri de Cartier voit le colibri l’envoler pour indiquer la réserve de marche lorsque le petit du fauve émerge d’entre ses pattes. De son côté, Hermès adore se jouer du temps avec ses Dressage L’Heure masquée, Slim L’Heure impatiente ou Arceau Le Temps suspendu. 

Patek Philippe Ladies Chronograph Ref 7150

Patek Philippe Ladies Chronograph Ref 7150

Objectif lune

Ces montres, dont la paternité est partiellement assumée par l’incontournable atelier genevois Agenhor, ne sont toutefois qu’une facette de l’univers des complications à vocation féminine. Dans le registre astronomique, ce sont les phases de lune qui occupent le devant de la scène, prisées pour le côté poétique qu’elles évoquent. Dans cette véritable jungle lunaire – toutes les marques en proposent –, on notera celles, hautement figuratives, proposées par Sarpaneva dans un boîtier certes affirmé ou encore la Perpetual Moon d’Arnold & Son et sa Luna Magna avec lune tridimensionnelle comme celles de De Bethune. Sans oublier la récente Les Matinaux L’Heure exquise de Trilobe avec la représentation lunaire dans les deux hémisphères, coaxiale à l’aiguille des secondes, une première.

Phases de lune mises à part, aucune complication ne manque toutefois au registre des montres dame, que l’on parle de chronographes, de quantièmes perpétuels, de répétitions minutes, d’heures universelles ou encore de régulation à tourbillon. Les Maisons qui naviguent avec maestria dans ces eaux tumultueuses comme Audemars Piguet, Breguet, Jaeger-LeCoultre ou Vacheron Constantin, sans pouvoir les nommer toutes, ont de quoi satisfaire les plus exigeantes. Une dernière spécificité, qui a connu ses heures de gloire durant la première moitié du siècle dernier, tend toutefois à disparaître. Si la course à l’extra-, voire l’ultra-plat, mobilise depuis plusieurs années les neurones des horlogers, les mouvements extrêmes en termes de miniaturisation, comme le mouvement « le tuyau » de Vacheron Constantin (1916 – 26 x 6,4 mm), le calibre 101 de Jaeger-LeCoultre (1929 – 14 x 4,8 mm) ou le R550 de Blancpain (1956 – 11,85 mm de diamètre) n’ont plus guère d’équivalents contemporains… à quelques rares exceptions près. À côté du LTM 1000 (21 x 9 mm) du Temps Manufacture à Fleurier, Bulgari présentait en 2022 le mouvement BVL 100 Piccolissimo de 12 mm de diamètre. Retour en grâce programmé de la mini-montre mécanique ? 

Arnold and Son Luna Magna Platinum meteorite - 2022

Arnold and Son Luna Magna Platinum meteorite - 2022

ENCADRÉ 2 ENCADRÉ 2 ENCADRÉ 2 ENCADRÉ 2 ENCADRÉ 2 ENCADRÉ 2

Retour en grâce des métiers d’art

Les métiers d’art, ces savoir-faire qui cultivent l’intelligence du geste, sont indissociables de l’histoire horlogère. Développés pour l’ornementation d’apparat depuis l’aube des civilisations, ces métiers ont offert un complément très vite indispensable à la science mécanique destinée aux « grands » de ce monde. Centrés essentiellement sur les techniques d’émaillage et de sertissage, de gravure et de guillochage, ces artRebethezont connu de belles heures jusqu’à ce que les modèles de poignet supplantent la montre de poche richement décorée et réservée à une élite. En ce sens, le xxe siècle est celui d’un passage à vide pour les arts décoratifs appliqués à l’horlogerie, pratiquement inexistants et, pour certains, menacés de disparition. La montre dame a-t-elle permis de renverser la tendance ? Si les métiers d’art ne sont en rien « cantonnés » dans le registre de la montre pour femme, question de culture et de sensibilité, il ne fait pas de doute que ces pièces ont trouvé auprès d’elles un public des plus réceptifs.

 

Patek Philippe Rare Handcrafts 2024

Patek Philippe Rare Handcrafts 2024

Depuis une vingtaine d’années, ces métiers ont ainsi amorcé un lent mais sûr retour en grâce avec des Maisons comme Blancpain, Cartier, Chanel, Hermès, Patek Philippe ou Vacheron Constantin pour s’en faire les ardents défenseurs. Dans la foulée, l’artisanat d’art est devenu un vaste champ d’expression ouvert à des techniques oubliées, disparues ou venues d’ailleurs. Aux métiers « traditionnels » sont ainsi venus s’ajouter la marqueterie, la mosaïque, la plumasserie, le filigrane, la granulation, la laque, la peinture sur porcelaine, le millefiori… Et comme on tend vers des réalisations apparentées à des œuvres d’art, leurs auteurs sont désormais connus et encensés, parmi lesquels émergent des figures féminines devenues des références comme Anita Porchet dans l’émaillage ou Michèle Rothen Rebethez dans la gravure. 

Blancpain Great Beauties

Blancpain Great Beauties